L’argent des paradis fiscaux ne rentre pas au pays: il circule de l’un à l’autre

Philippe Engels
Het belang van Hong Kong als belastingparadijs zit in de lift (Foto Roger Wagner)
L'importance de Hong Kong en tant que paradis fiscal ne cesse de croître (Photo: Roger Wagner/ Juillet 2005/ Flickr-CC)

Elle est signée par deux économistes qui connaissent la matière. L’un est Danois, l’autre Français. Niels Johannesen est professeur à l’Université de Copenhague. Gabriel Zucman est issu de l’éminente Paris School of Economics. Il s’agit de la toute première étude permettant de quantifier les effets des traités bilatéraux d’échanges d’information signés avec des paradis fiscaux, suite à la crise financière de 2008. "Le début d’une autre ère" et "la fin du secret bancaire", avaient juré les grandes puissances mondiales regroupées au sein du G20.

A la lecture de ce document alignant des équations complexes, mais aux conclusions d'une clarté saisissante, on peut se demander qui sont les Etats qui dirigent la planète: le G20, vraiment? Ou les plates-formes offshores telles que les Iles Caïmans, Panama ou Hong Kong?

D'un paradis à l'autre

"Quand la France a demandé à la Suisse si Jerôme Cahuzac détenait un compte chez eux, la Suisse a répondu que non..."

Car c’est bien simple. Les efforts menés à l’échelle mondiale de 2008 à aujourd’hui s’assimilent à un fantastique fiasco. Pour reprendre l’expression du politologue Vincent de Coorebyter, le directeur général du CRISP (Centre de recherche et d’étude sociopolitiques), le "capitalisme financiarisé et profondément perverti qui a provoqué la crise de 2008" se joue d’Etats jusqu’ici impuissants.

Selon Johannesen et Zucman, en effet, quand les fraudeurs semblent traqués au sein d’un paradis fiscal, ils s’en vont tout bonnement vers un autre. Les mesures du G20 restent sans effet: l’argent de la fraude ou du blanchiment ne rentre pas au bercail, il fuit vers d’autres cieux. Hier, la Suisse, le Luxembourg ou les Iles anglo-normandes. Désormais, Hong Kong ou Singapour, qui méprisent les traités d’échange d’informations avec le reste du monde.

Bettencourt et Cahuzac

L’étude en question débute par une illustration. En août 2009, la France et la Suisse conviennent de revoir le traité fiscal qui les unit. Les deux pays prévoient de faire sauter le verrou bancaire, et se promettent d’améliorer l’échange d’informations.

Mais que fait "l’une des plus riches personnes de France", quelques mois plus tard, quand sont éventées dans la presse les bandes son laissant entendre que la femme fortunée en question - Liliane Bettencourt, héritière du groupe L’Oréal - détiendrait un peu plus de 120 millions d’euros sur des comptes suisses non-déclarés? "Elle envisage de déplacer son magot vers Hong Kong, Singapour, ou l’Uruguay" écrivent nos deux chercheurs.

Gabriel Zucman évoque un parallèle avec l’affaire Cahuzac, du nom de cet ex-ministre français du Budget ayant admis après quatre mois de dénégation qu’il détenait un compte en Suisse:

Quand la France a fait activer son traité de coopération avec la Suisse, celle-ci a répondu: 'Non, Mr Jérôme Cahuzac ne possède pas de compte chez nous'…

52 paradis fiscaux

Le tandem Johannesen/Zucman s’est appuyé sur des données notamment fournies par la Banque des règlements internationaux, coordonnant l’action des banquiers centraux. Ces chiffres examinent les mouvements de capitaux dans 52 paradis fiscaux entre 2007 et 2011.

Deux résultats majeurs découlent de ces analyses:

La multiplication des traités bilatéraux, entre un Etat comme la Belgique ou la France et un paradis fiscal, est restée sans effet véritable sur les dépôts bancaires détenus dans des paradis fiscaux:

Evolutie bankdeposito's in fiscale paradijzen en elders (Bron: The end of bank secrecy? An evaluation of the G20 tax haven crackdown)
Evolution des dépots bancaires dans les paradis fiscaux et les autres Etats (Graphique: "The end of bank secrecy? An evaluation of the G20 tax haven crackdown", figure 2)

En clair, malgré la prise de conscience intervenue au sein du G20 et la multiplication des traités d’échange d’informations "à la demande", sans contrainte donc, rien n’a changé depuis la crise de 2008. Des montants colossaux dorment encore dans les paradis fiscaux, privant nos démocraties déboussolées d’argent frais pour créer des écoles, financer les systèmes de protection sociale ou lutter contre la montée de la précarité. Zucman en estime le total à 6.000 milliards d’euros au minimum. Le consortium de journalistes qui a sorti l’Offshore Leaks évoque une ardoise trois à quatre fois supérieure.

Les rares mouvements de capitaux provoqués par cette prétendue levée du secret bancaire s’opèrent donc entre paradis fiscaux:

Evolutie bankdeposito's in de verschillende belastingparadijzen (Bron:
Evolution des dépôts bancaires dans différents paradis fiscaux (Graphique: "The end of bank secrecy? An evaluation of the G20 tax haven crackdown", figure 4)

L’argent dormant n’est pas rapatrié. Seule solution pour cela, aux yeux des auteurs de l’étude sans que cela y figure noir sur blanc: passer vers un système automatique d’échange d’informations. Là, les paradis fiscaux ne seraient pas seulement encouragés à lever le secret. Ils y seraient contraints. Gabriel Zucman:

L’Offshore Leaks pourrait marquer un vrai tournant. C’est maintenant ou jamais, à la lumière des échecs d’un passé tout récent.

L’espoir renaîtrait-il?

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