
Michael Shapiro entre et s'installe, il dépose son gong sur la table. On était prévenu, mais la surprise est la: nous n'avons pas encore l'habitude, ce n'est que la deuxième fois qu'on se retrouve face à lui.
Lors du premier cours d' "écriture narrative", Shapiro nous avait demandé d'apporter deux choses: l'extrait d'une oeuvre de fiction ou de non-fiction et un morceau de musique instrumentale. Pour ce second cours, armé de son gong, nous devions venir avec le récit d'une histoire vraie, quelque chose qui nous soit vraiment arrivé. L'idée? La raconter en maximum 4 minutes devant la classe, sans que personne ne décroche, sinon le gong retentirait et ce serait perdu.

Ce premier semestre à la Columbia Journalism School arrive à sa fin. Dans sa seconde partie, j'ai eu l'occasion de poursuivre mes classes en journalisme d'investigation, d'intégrer quelques bases en business et éthique journalistique. Et surtout, d'expérimenter deux nouvelles matières: le cours "audience and engagement" sur lequel je reviendrai plus tard, et "l'écriture narrative".
Protéiforme
Le but ici est d'apprendre non pas à écrire un "article" ou un "papier" – deux mots qui font grimacer Shapiro, mais à raconter une histoire. Une histoire journalistique, véritable. Il s’agit d’apprendre à reconnaître le rythme d'une histoire, comme en musique, avec son épine dorsale narrative. En lisant plusieurs longues histoires par semaine, nous allions devoir repérer ce qui accroche le lecteur, et ce qui fait qu'il ne lâche pas. Afin d'illustrer son propos, Shapiro nous a fait écouter "Black and Blue", de Louis Armstrong
Il allait maintenant falloir désapprendre les formes imposées en septembre et en octobre. Shapiro:
On vous fout en l'air ici, votre écriture se détériore.
Il n'y a pas de structure unique pour raconter une histoire, nous dit Shapiro. Et les façons d'amener un récit journalistique sont multiples. Par contre, ce qu'on allait devoir garder de ces premières classes, ce sont les techniques de reportage acquises. Toutes nos histoires allaient devoir se baser sur le reportage de terrain.
Le reportage, c'est comme essayer de connaitre Dieu: c'est toujours élusif. Le reportage vous garde jeune, il s'agit de trouver ce qui est nouveau et intéressant. C'est l'écriture qui fait vieillir.
Tenir en haleine
Pour Shapiro, écrire est une opération difficile et ceux qui affirment aimer les mots sont des menteurs. Toujours selon lui, la seule chose qui importe est que le lecteur se dise: "Qu'est-ce qui se passe ensuite?"
La structure est une mauvaise chose en elle-même. Elle n'est utile que si elle sert le 'Qu'est-ce qui se passe ensuite?'.
Si un lecteur, même unique, lit votre récit jusqu'au bout, c'est gagné.
Shapiro évoque également l'écrivain David Foster Wallace et utilise une image: nous allions devoir enfiler la tenue d'un pilote d’une course Nascar, roulant à 300 km/h en ligne droite avec un mur pour seul point de mire. Le pilote qui gagne est celui qui enlève en dernier son pied de l'accélérateur. C'est ce que Shapiro veut voir dans une histoire: cette tension, ce risque.
Chaque semaine, on allait discuter de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans les histoires que nous avions récemment lues. Apprendre à repérer précisément l'endroit où nous avons décroché et comprendre pourquoi. Shapiro veut nous éviter l'angoisse de l'écriture. Il nous a demandé de simplement lui écrire une petite lettre, lui expliquant comment l'histoire sur laquelle on travaillait avançait, ce qu'on avait découvert cette semaine et pourquoi c'était fascinant. Ensuite, il allait falloir commencer à écrire cette longue histoire, morceau par morceau, et la partager avec les autres. Ecrire et raconter.