"En surfant sur Internet, on tend à ne confirmer que nos propres opinions"

Sylvain Malcorps
Pascal Francq (Photo: capture d'écran Paul Otlet Institute)
Pascal Francq (Photo: capture d'écran Paul Otlet Institute)
Pascal Francq (Photo: capture d'écran Paul Otlet Institute)
Pascal Francq (Photo: Paul Otlet Institute)

Afin d'amorcer les réflexions à ce sujet, Apache a rencontré Pascal Francq, ingénieur et docteur en sciences appliquées. Ce chercheur, au look teinté de références rock le jour de notre rencontre, travaille depuis de nombreuses années à l'analyse du réseau des réseaux. Officiant désormais à l'UCL, profitons de ses observations afin de mettre en perspective notre position d'utilisateur du Web.

Apache : Lors de nos premiers échanges, vous avez fait une distinction entre Internet et le Web

Pascal Francq : "Il faut comprendre que le Web, la toile sur laquelle on surfe de site en site, n'est en réalité qu'une partie d'Internet. Internet se compose de différents sous-ensembles, qui comprennent de nombreux services comme notre boîte mails ou Skype par exemple. Et en tant qu'internaute, on ne participe qu'à certains d'entre eux.

Mais le Web est bien la partie la plus utilisée Internet. On a d'ailleurs souvent l'idée d'un Web universel, dans lequel on voyage d'un bout à l'autre du réseau, qui nous donne accès à tout ce que l'on veut, à des milliards d'informations différentes. Mais dans les faits, les choses sont bien différentes: on ne consulte qu'un nombre limité de sources, qui en plus ne font que confirmer les opinions que nous avons déjà.

Sur Internet, nous tendons à "confirmer nos propres opinions". Que voulez-vous dire par là ?

"Ce phénomène, c'est celui que certains chercheurs appellent la "balkanisation". En tant qu'internaute, nous allons avoir tendance à lire des articles ou consulter des sites Web qui renforcent nos propres convictions et confirment les idées que nous avons déjà. On ne parcourt donc pas la Toile de long en large mais on évolue tous les jours dans un même spectre de sources. Et cette balkanisation nous freine dans la mise en place de dialogues réellement riches avec d'autres personnes puisque pour y arriver, il faudrait se confronter à l'autre, à des personnes ayant des opinions différentes de la nôtre.

Certaines études se sont intéressées à des blogs politiques américains et ont montré comment ces sites ne faisaient que se citer constamment les uns les autres, en fonction du parti dont ils défendaient les idées. De la même manière, nous consommons Internet via des nébuleuses de sites qui se renvoient constamment les uns vers les autres. C'est un peu comme quand vous achetez un roman policier sur Amazon par exemple: lorsque vous y retournerez pour un nouvel achat, le site vous proposera d'acheter un nouveau livre ayant les mêmes caractéristiques que le premier. Comme si vous ne lisiez que des livres policier.

Mais si on remet un peu les choses en perspective, on remarque que ce phénomène n'est pas nouveau et qu'on s'informait déjà de cette manière avant. En général, on ne lisait qu'un seul journal – souvent d'opinion à l'époque – qui ne proposait qu'une certaine vision du monde. Les discours qui entourent Internet nous donnent l'impression que nous avons accès à l'infinité de l'information et des opinions, mais c'est trompeur."

Un parking à vélo concentrique, Vandoeuvrelès-Nancy. (Photo: Alainalele/ août 2012/ Flickr-CC)
Un parking à vélo concentrique, Vandoeuvre-Lès-Nancy. (Photo: Alainalele/ août 2012/ Flickr-CC)

Les moteurs de recherche influent également sur le résultat de nos recherches sur Internet...

"Et il n'y a pas qu'eux. C'est un autre phénomène à observer, celui de la "centralisation" : on a toujours plus tendance à passer par des points de centralisation de données afin de nous rendre sur le Web, comme Google ou l'App Store. La quantité d'information présente sur la toile est tellement faramineuse qu'on a besoin d'utiliser des outils pour nous aider à y faire le tri.

On peut estimer qu'entre trente et quarante grandes entreprises du secteur contrôlent l'ensemble des points d'entrée que les internautes utilisent pour surfer sur Internet. Ce nombre limité n'est pas un hasard: la masse de données à traiter est tellement énorme qu'il faut posséder du matériel coûteux en très grande quantité pour s'en charger. Nous dépendons donc des règles établies par ces firmes pour accéder aux informations qu'on recherche."

Les risques de censure de la part de ces firmes existent-ils ?

"Le risque de censure existe, mais il n'est pas facile à évaluer. Prenons juste l'exemple de Google: personne ne sait clairement comment le moteur de recherche fonctionne et opère ses choix de classement. On sait bien sûr que certains éléments précis sont pris en compte, comme le nombre de liens que possède une page Web par exemple. Mais depuis sa création fin des années nonante, son algorithme – les règles codées qui indiquent à Google comment fonctionner – a été modifié à plusieurs reprises et est tenu secret pour des raisons stratégiques.

C'est entre autre pourquoi je me bats pour que l'éducation aux médias prenne une place plus importante dans nos établissements scolaires. On a souvent l'impression qu'Internet rend tout plus facile, qu'il facilite nos recherches et nous donne une perspective globale des questions que l'on se pose. Et c'est, vrai en partie. Mais tout ce dont on vient de parler influe sur le résultat de nos recherches. L'exemple est connu mais si vous tapez "Truth about holocaust" sur Google, le premier résultat obtenu vous enverra vers une page négationniste...

Il faut donc être conscient de ces écueils. Et pour les éviter, tenter de varier au maximum les mots qu'on utilise dans une requête sur un moteur de recherche, dépasser les cinq premières pages de résultats proposées et aller consulter la vingtième, la cinquantième. Tenter également de repérer les différents acteurs d'une situation qui nous intéresse et consulter leurs divers points de vue sur le Web. Cela prend du temps, mais comme pour tout: ça s'apprend. D'où l'intérêt croissant que nous devons porter à l'éducation à ces supports.

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